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Géopolitique

Barack Obama : Les espoirs de l'interculturel, les pièges de l'international

Sami Aoun, professeur de science politique

L'American Dream est «revigoré». La culture états-unienne du melting-pot redore son blason et refait ses preuves contre un scepticisme à l'égarddu vivre-ensemble pluriel. Cette manière d'être à l'américaine a repris, ou est en train de reprendre, sa pleine capacité. Les prémisses d'un New Deal se dessinent dans les imaginaires. Initié à l'interculturel, le président élu par un fort appui – même parmi les blancs – pourrait remettre la diplomatie au centre des préoccupations, à Washington.

Son élection a pris les allures d'un référendum sur la politique étrangère de l'administration de George W. Bush. En d'autres termes, la présidence d'Obama nourrit les espoirs d'un nouveau monde, différent de celui qui s'est effondré avec les attentats terroristes du 11 septembre. Obama serait, semble-t-il, inspiré par un idéalisme wilsonien pacifiant, à l'opposé du comportement combatif et belliqueux de son prédécesseur républicain.

Les attentes sont élevées. On espère que le nouveau président pourra tabler sur le recul des néo-conservateurs et de leur «idéalisme révolutionnaire», et revenir au réalisme axé sur la raison d'État et non dicté par le dogmatisme ou les prismes de l'idéologie.

Ce faisant, l'administration Obama devra manifestement relever des défis de taille. Parmi eux, il y a les risques afférents à une autre approche diplomatique qui consiste à s'ouvrir sur le multilatéralisme et l'extension de l'acceptation d'un rôle de primus inter pares (égalité formelle entre des pairs). Il s'agit là de l'aveu de la fin de l'unilatéralisme et même une reconnaissance des limites de l'hégémonie de 'hyperpuissance des États-Unis. La Chine s'en féliciterait. La Russie s'attendrait à l'atténuation de la prudence à son égard et à un gel de l'expansion de l'OTAN dans son voisinage.

Par ailleurs, les appels incessants du nouveau résident de la Maison-Blanche à l'Europe pour qu'elle s'engage plus, surtout militairement, dansles combats en Afghanistan et ailleurs soulèvent du mécontentement dans le vieux continent. Les hésitations européennes seront un ennui certain pour les stratèges américains et pour la solidité des liens transatlantiques.

Du côté du continent africain, les espoirs vifs pour une aide américaine substantielle dépassent les capacités du leader américain. En Amérique latine, ceux qui ont bâti leur gloire sur l'anti-bushisme ou l'anti-américanisme se verront appelés à reconsidérer «l'offre obamienne» de dialogue, plutôt embarrassante pour le Vénézuélien Chavez et prometteuse pour le Brésilien Lula.

Cela étant dit, les priorités de Barack Obama seront concentrées sur le Grand Moyen-Orient. Un des enjeux importants reste la guerre contre le terrorisme. Obama a exprimé son intention ferme de recentrer ses efforts contre Al Qaïda et ses parrains.

Or, il ne semble pas y avoir de position gagnante à propos de cette question : poursuivre la pression militaire, comme le laissent entendre les slogans du candidat Obama, c'est entretenir l'illusion d'une victoire dans une guerre asymétrique. Entamer le dialogue, c'est renouer avec des ennemis de la démocratie.

Un autre enjeu grave reste celui de l'approche réservée à l'ambition nucléaire du régime iranien. Obama se trouve là aussi devant un autre dilemme. D'un côté, être permissif mènerait à l'aliénation d'Israël. Dans ce cas, cela provoquerait des turbulences inévitables avec le nouveau pouvoir israélien qui sera formé à la fin de l'hiver 2009. De l'autre côté, rester intransigeant pourrait mettre en péril les intérêts et les soldats américains en Irak et ailleurs.

En ce qui concerne le conflit arabo-israélien, la question palestinienne ne tolère plus de tergiversations américaines. Dans un premier temps, les Palestiniens attendent avec impatience que les Américains accélèrent la mise en place de la solution des deux États. L'urgence est compréhensible : l'Autorité palestinienne, avec à sa tête Mahmoud Abbas, risque de s'effriter si la paix ne se profile pas à l'horizon. Les islamistes, surtout le Hamas, proche de la politique iranienne et syrienne, renverseraient le pouvoir. Dans un tel cas, une vague de radicalisme serait à craindre. En Israël, le retour de la droite serait plus probable. En Palestine, la défaite des adeptes de la solution négociée serait définitive.

On s'attend également à ce que les Américains appuient davantage les négociations entre Syriens et Israéliens; celles-ci seraient encadrées par un allié imposant : la Turquie. Des personnes influentes de l'entourage d'Obama appellent de tous leurs vœux un changement stratégique au Proche-Orient. En revanche, certains Arabes de Washington expriment leur appréhension face à ce probable rapprochement avec Damas et à son impact sur la révolution du Cèdre, anti-syrienne, qui avait été appuyée chaleureusement par l'administration Bush. Le Liban se retrouverait alors sous la coupe du régime syrien. Pire, l'ennemi affiché des États-Unis, le Hezbollah chiite libanais, pro-iranien et puissant, aurait le dernier mot sur le destin d'un régime pluriconfessionnel et libéral. Un revers cuisant pour les intérêts américains sur les bords de la Méditerranée.

Premier Noir à la Maison-Blanche, Barack Obama a déjà fait une entrée triomphale dans l'histoire. Reste qu'il devra prendre des décisions importantes pour construire un monde plus juste, plus libre et plus solidaire. Obama n'a pas le droit de décevoir.